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Richard Corben - Billet d'humeur et guide de lecture


Moebius l’a comparé jadis à Mozart.

Guillermo Del Toro l'a déjà cité comme étant une de ses influences majeures.

Désormais le voilà récompensé par ses pairs à Angoulême pour l’ensemble de son œuvre.

Parlons donc un peu de Richard Corben.

< Richard Corben par lui même

Toutes les illustrations de cet article sont de lui.

Billet d'humeur :

Même si j’en entends parler comme tout un chacun je m’intéresse finalement assez peu aux palmarès et autres remises de prix. Et cela, qu’importe le domaine, même celui de la bande dessinée.

Pour autant je dois admettre que voir cette année le festival international de la bande dessinée d’Angoulême remettre son Grand Prix (qui récompense un artiste pour l’ensemble de son œuvre) à Richard Corben m’a arraché un sourire. J’étais en effet certain que certains y verraient une atteinte au bon goût ainsi qu’aux efforts de légitimations de la BD.

La saga de Den >

De la chaire et de la baston pour un récit

fortement inspiré par le Cycle de Mars

Et ça n’a pas manqué, une presse peu connue pour s’intéresser au 9e art s’offusqua d’anciennes histoires de Corben. Inspirées d’Edgar Rice Burroughs ces récits (du moins les plus souvent cités) mettaient en scène de musculeux guerriers et des femmes plantureuses aux prises avec créatures monstrueuses. Il fallait absolument condamner tout ça en invoquant l’air du temps et en mettant en garde contre les foudres des féministes qui ne tarderaient pas à tomber. (Ou plutôt les foudres des féministes tels qu’imaginés par des gens ne s’intéressant pas du tout à ce sujet, mais le condamnant quand même avec ce mantra aussi imbécile que souvent répété du : « on-peut-plus-rien-dire ».) C’est même allez jusqu’à en appeler à l’affaire Weinstein.

La Cité de la peur , 1994

D’autres ont prétendu vanter les qualités de Corben. En effet son couronnement aurait été inévitable puisque les lecteurs de BD seraient avant tout des adolescents mâles exclusivement avides de luttes viriles et de sexe. Ce discours traduisait à la fois un mépris profond, doublé d’une méconnaissance totale, de la bande dessinée, de son public, des adolescents, ainsi que de l’évolution de la société. C’était d’autant plus crétin que le grand prix est décerné par un vote des auteurs et non par un vote des lecteurs.

Certains, enfin, ont cherché à remettre en doute la légitimité de cette récompense. Cette nomination aurait été une anomalie, une erreur dictée par la nostalgie, sous prétexte que les travaux les plus connus de l’artiste dataient de plusieurs décennies et qu’il vendait aujourd’hui relativement peu. On pouvait même lire çà et là qu’il ne produisait plus rien. Pourtant l’homme n’a pas stoppé sa carrière à la fin des 70's et travail toujours. Du reste, je ne suis pas certain que le fait que beaucoup n’aient pas eu la curiosité de voir ce qu’il produisait actuellement puisse est retenu contre lui. Et à une époque où 50 nuances de Grey est devenu un best-seller, je pense sincèrement qu’il est définitivement temps d’arrêter d’associer la valeur d’une œuvre à sa réussite commerciale.

Restaient ceux, il faut l’avouer plus nombreux, qui se félicitaient du résultat du prix. Malheureusement en faisant souvent appel eux aussi à la nostalgie. Tout le monde y allant de son petit souvenir par rapport aux anciens travaux de Corben. Je ne crois pas avoir aussi souvent vu les noms de Den, ou de Métal Hurlant, dans la presse que dans les jours ayant suivi cette édition du festival d’Angoulême. Accessoirement je suis aussi certain de n’avoir jamais vu un auteur de BD aussi souvent qualifié, peut-être un peu rapidement, d’hyperréaliste...

Personnellement je n’ai pas ce rapport nostalgique à l’œuvre de Corben. Né quelques mois avant la première interruption de Métal Hurlant je n’ai pas connu l’arrivée de l’artiste dans les pages du magazine. Et la découverte de ses anciennes planches, où il étalait sa maîtrise de la peinture à l’aérographe, ou encore la lecture de ses récits testant les limites des cadres imposés par les moralistes de l’époque, n’a pas eu le même impact sur moi que toute une génération de bédéphiles.

Guide de lecture :

Ainsi ,même si j’ai lu certains de ces classiques, je ne suis pas certain qu’en parler ici soit très pertinent étant donné qu’ils sont maintenant un peu ardus à trouver en VF. Tout du moins en dehors des circuits de l’occasion et de quelques bibliothèques. Mais peut-être que cette remise de prix permettra des rééditions. Aussi je préfère parler dans cet article de livres disponibles. Et il s’agit dans l’immense majorité des cas de travaux réalisés à partir des années 2000.

À une petite exception près pour les histoires courtes que Corben publia dans les 70's pour les magazines Eery et Creepy. En effet l’éditeur Delirum en a publié une anthologie en deux volumes de ces récits à chute. Ce qui nous offre à nous, heureux lecteurs, de découvrir cet artiste dans sa variété graphique ou thématique. Et aussi de constater, puisqu’il s’agit là de travaux effectués en début de carrière, que l’homme déborde quand même de talent. Dans ces deux recueils on le voit ainsi expérimenter des modes de narration, les sujets (on passe de l'horreur à la SF) mais aussi exploiter au maximum ce que lui permet les techniques de reproduction de l'époque. Il ira même jusqu'à développer de nouvelles méthodes pour pouvoir traiter une large palette de couleurs.

< Je précise quand même que les premières histoires sont en noir et blanc

et que les deux volumes sont indépendants.

Cependant pour moi la rencontre avec Corben se fit avec des comics moins indépendants puisque je le découvris au travers de sa collaboration avec Brian Azzarello sur la série Hellblazer pendant l’année 2000.

À l’époque je dois bien avouer que le style de l’artiste, qui abandonne ici l’aérographe, m’avait un peu surpris. D’autant que je m’étais procuré le volume sorti chez Thot plus par intérêt pour le personnage de John Constantine, et la série dont c’était là la première publication française, que pour les auteurs que je ne connaissais pas, ou peu. Cependant aussi déroutant que fût ce premier contact force m’a été de reconnaître que le graphisme de Corben se marie fort bien au récit. L'artiste met à contribution des années d’expérience pour nous dépeindre un enfer carcéral bien terrestre. En effet l’histoire éloigne le personnage de Constantine de son univers londonien habituel pour le plonger dans celui des prisons américaines. Le mage est un salopard, c’est acté, mais le voilà enfermé avec d’autres, peut-être bien pire, faisant l’erreur de le sous-estimer. Ici point de démons, ou de dieux païens, juste de l’humain. Et les actions de Constantine reflètent cet état de fait. On ne sait ainsi pas, et les autres personnages avec nous, s'il utilise de véritable magie pour s’imposer ou bien use de simples trucs pour tromper son entourage. Bref ça avait été une très bonne expérience de lecture.

Cet arc a depuis été réédité chez Urban Comics dans

Brian Azzarello présente Hellblazer tome 1

Après un travail d’adaptation de La Maison au bord du monde il quittera Vertigo et travaillera un peu Marvel en particulier, mais pas seulement pour son label Max (label bien plus adulte que la production habituelle de l'éditeur).

Cependant de son passage chez La Maison des Idées, et même si j’apprécie beaucoup le one-shot The Punisher : The end (qu’il réalisera en 2004 avec Garth Ennis), rien en me semble particulièrement indispensable.

< Attention ce recueil, édité par Panini comics,

contient 3 bonnes histoires du Punisher.

Mais ce sont des récits indépendants.

The end n'en est que la dernière et c'est la seule de Corben.

Il n’en va en revanche pas de même, selon moi, de son travail avec Mike Mignola. Travail qui lui valut des Eisner Award (dont il a intégré le Hall of Fame en 2012). Le personnage de Hellboy semble être fait pour Corben tellement il lui permet de créer un pont entre les deux principaux pôles de sa production. D’un côté des histoires pleines d’actions inspirées d’aventures tirées des pulps et de l’autre des récits inspirés des grands classiques de la littérature horrifique. Son trait est certes très éloigné de celui de Mignola mais ça marche parfaitement. Du reste l’artiste se fait plaisir et ça se sent. Et ce d’autant plus qu’il est clair que le créateur du personnage ne lui a pas remis ses scénarios au hasard, mais a au contraire profité d’avoir ce dessinateur à disposition pour raconter ces récits-là.

Les travaux de Corben sur la série Hellboy >

ont été publié en français, chez Delcourt

dans les tomes 08 ,11, 12 et 15, ainsi que sur

le tome 3 de BPRD Origines (mais à chaque

fois avec d'autres artistes).

Ce goût pour le surnaturel Corben le traduisit ses dernières années au travers de plusieurs mini séries. Par exemple Ragemoor qu’il publia en 2012 chez IDW avec un scénario de son vieux compère Jan Strnad. On se retrouve là dans un conte gothique réactualisant le thème de la maison hantée. L’histoire démarre sur un complot pour accaparer un château et de supposées richesses. Une histoire assez classique d’héritages et de trahisons. Du moins pendant les premières pages où on s’attend à une histoire de meurtre et de malédiction tant on a l’impression d’être un conte de Poe mise en scène par Vincent Price. Cette impression d’être dans un vieux film d’horreur est renforcée par le choix de réaliser cette histoire en noir et blanc. Mais le tout va évoluer, muter, peu à peu vers l’horreur cosmique qu’aimait tant Lovecraft. Et Corben va pouvoir s’en donner à cœur joie en créant un bestiaire fantastique original tout en nous transmettant une ambiance glauque à souhait dans laquelle souffriront les corps et les esprits des personnages. Bref je ne saurais trop vous conseiller cette histoire publiée en français chez Delirium en 2014.

Par la suite il va adapter plus directement les écrits d’Edgar Poe pour Dark Horse. Ces épisodes seront rassemblés chez nous sous le titre d’Esprits des Morts, encore une fois chez Delirium. L’artiste s’était, par le passé, déjà confronté l’écrivain, y compris avec certaines des nouvelles mises en scène dans ce recueil. Cependant pas d’inquiétude pour ceux qui auraient lu les anciennes versions. On est bien là face à de nouvelles adaptations et non avec la réédition d’anciennes publications. Et si Poe était un maître du cinquième art Corben est quant à lui un maître du neuvième. Et un maître doté d’une longue expérience qui n’a désormais plus rien à prouver à qui que ce soit. Pas question donc de livrer une servile mise en images d’un texte dont on recopierait chaque virgule. Il effectue au contraire un véritable travail d’adaptation. Si le texte d’origine est respecté, le dessinateur profite pleinement des possibilités que lui offre son média. Il a travaillé ses cadrages, ses mises en pages, la mise en couleur (ici numérique), l’expressivité des personnages, le rythme de lecture, etc. Le tout afin de nous livrer sa vision, son ressenti, de l’œuvre du poète.

Plus récemment, en 2015, il a publié Ratgod toujours chez Dark Horse (et chez Delirium pour la VF). Il s’agit cette fois d’un récit inspiré par l’œuvre de Lovecraft. Mais là encore il ne s’agit pas de s’humilier face à un grand ancien, mais bien de produire un travail personnel. Ainsi même si l’hommage est parfaitement revendiqué on peut supposer que Corben n’a lui aucune aversion pour les fruits de mer. En effet, même s’il y a bien des monstruosités elles sont différentes des abominations d’inspiration marine du maître de Providence. De même le héros de l’histoire n’est pas à proprement parler lovecraftien. Clark Elwood n’est ainsi pas qu’un des frêles intellectuels policé dénués de pulsions sexuelles que m’était en scène Lovecraft. Il est au contraire bien plus actif qu’eux et alors qu’il tente de maîtriser sa propre histoire on lui devine une très bonne condition physique. Et tout en explorant une Amérique reculée pleine de hillbillies aux étranges coutumes (aspect de l’histoire qui n’est pas sans évoquer The Crooked Man, récit de Hellboy sur lequel a travaillé Corben), il ne perd pas de vue son objectif et fait tout pour l’atteindre. De plus, cette histoire, bien que pleine de références lovecraftiennes, avec ses monstres oubliés, ses cultes secrets ou sa mise en scène de la dégénérescence, est aussi une BD portant un regard lucide sur le père de Yog-Sothoth dont Elwood est un avatar jusque dans le faciès. Ainsi le racisme ou la misogynie de l’écrivain ne sont ici ni excusés ni pudiquement passés sous silence. Et le déroulement du récit offre une critique en creux de certains aspects du « vieux gentleman » puisque la personnalité réactionnaire du personnage le pousse à se comporter comme un connard finit, ce qui lui donne régulièrement droit à un retour de bâton. Même la chute de l’histoire, qui n’est pas sans rappeler celle de quelques nouvelles, offre une certaine satisfaction de ce point de vue tant elle semble être un juste retour des choses. Ainsi, malgré quelques détails du scénario qui m’ont semblé superflus l’ensemble m’a beaucoup plus. Mais je la recommande cependant en priorité aux connaisseurs du mythe de Cthulhu. (Cependant pas besoin d’en être un grand expert non plus pour pouvoir l’apprécier. Ça reste très accessible.)

Je note enfin la volonté de Delirium de sortir en France, dans une édition luxueuse grâce à l’appui d’un crowdfunding de Grave, les Contes du cimetière que Corben (qui n’a décidément n’a vraiment rien fait ces dernières années) publia en 2016 chez Dark Horse.

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Sur ce blog je vais donner mon avis, pour le meilleur et pour

le pire, sur ce que j’ai lu en BD (principalement d’origine anglo-saxonne, mais pas seulement).

 

Pour mes vidéos, en plus de fournir des liens pour les visionner, je vais en fournir ici les textes afin que ceux qui n’apprécient pas ce média puissent tout de même en profiter.

 

Et puis je ne m’interdis pas de quitter de temps à autre le 9° art pour aborder d’autres trucs de geek.

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